C’est en parcourant les photos que je nous ai vus. Sourire, rire, marcher, grimacer. Bien en vie. Ce sont les photos que l’on montre aux enfants et à la famille alors qu’on range la maison, l’appartement avant un déménagement. Ce sont aussi celles que l’on pourrait feuilleter de temps à autre, sans nostalgie mais avec un pincement au coeur d’une époque révolue – même si avec une objectivité non feinte, il valait mieux qu’elle se termine.
Je pense à nous et puis à ce que nous sommes devenus. Régulièrement je suis vos vies sur Internet, je me réjouis de là où vous en êtes. Vous n’en savez rien mais je suis fière de vous et je garde au fond de moi ce sentiment tenace que nos routes qui se sont croisées ne l’ont pas été par hasard et qu’il reste une trace de ces vies là. Je manque de nouvelles de certains et de certaines mais de là où je suis je sais que vous êtes aussi beau qu’avant, si ce n’est plus.
Émue souvent au détour d’un statut Facebook ou d’une photo glissée, un mariage, un bébé ou une simple fête d’anniversaire. Je contemple avec joie cette vie qu’est la votre, loin de croire que tout est rose, je sais pertinemment que vous êtes des as et des champions de l’illusion. Pourtant je me plais à croire que c’est vraiment la vie que vous vivez. J’admire votre force et ce qui fait qu’aujourd’hui vous êtes des êtres admirables.
Seulement cette boule qui s’est logée au fond de ma gorge découle du fait que ces photos là, qu’on montre aux enfants et à la famille, ne seront jamais ailleurs que là où elles sont. Elles resteront notre secret honteux, notre part d’inavouable, nos moments passés ensemble et tout ce qui a été et ne sera plus. Jamais on ne montrera qui on a vraiment été à ce moment-là, parce que la honte est bien trop grande une fois qu’on est rangé, une fois qu’on est comme tout le monde. Jamais on ne pourra montrer ces rires et ces moments de beauté absolue où rien d’autre ne comptait que nous tous. Jamais parce que la société oblige à un moment à ne pas ternir sa carrière d’être humain par un enfermement quelconque, qu’il soit carcéral ou psychiatrique. Entre les murs, nous étions tenus à l’écart de toutes autres choses que nous même et pour notre plus grand bonheur, je me souviens des larmes autant que des fous rire. En regardant ces photos je songe à l’immense gâchis que nous avons provoqué en étant autant heureux là-bas entre ces quatre murs. Il n’aurait pas mieux valu qu’on soit larmoyant tout le temps mais les photos auraient été moins belles et je n’aurais rien eu à montrer à mes enfants. Il n’y aurait pas eu cette absence de possibilité de dire « regarde Maman avec ses amis, elle était heureuse aussi tu vois ». Il n’y aurait pas eu cette béance qu’on ne peut expliquer au commun des mortels, bien trop sage et bien trop rangé. Il n’y aurait pas eu cet amour que j’ai pour vous. Il y aurait eu une simple parenthèse alors même qu’elle est bien trop belle pour rester simple.
C’est une grande perte que de ne pouvoir montrer qui vous êtes. On ne m’ôtera jamais de la tête que vous étiez et êtes encore de belles personnes. Nous sommes à nous tous, tous ces êtres, un ensemble de secrets. De ceux qu’on ne peut dévoiler à ses enfants au sortir d’un déjeuner du dimanche alors qu’on s’apprête à aller faire une sieste méritée et que les enfants insistent pour savoir comme nous étions plus jeune. Il y a eux et ils y a nous. Il y a moi et les autres. Et dans moi, il y a vous, qui avez dessiné avec vos traits de crayons maladroits qui je suis aujourd’hui. Entre ces quatre murs.