Soudain toute cette ville m’a donné une nausée caractéristique de l’écœurement, du trop plein et de l’abondance terrifiante de ceux qui en surface ne manquent de rien. L’ostentation empreinte de mépris de ces rues a déclenché chez moi l’obsession de la fuite, la partie suivante devait commencer. Mais comment peut on étouffer dans si grand me demandait-on ? Comment était ce possible, surtout, que dans cette grandeur je ne me sente plus chez moi, plus à ma place, plus vraiment moi-même ?
Les lumières blafardes le long des trottoirs gorgés de touristes et les bars en enfilade ont été synonyme du plus profond de mon dégoût : je ne supportais plus la liesse de ceux qui ensemble s’amusent, et, hébétée, je racontais à qui voulait l’entendre qu’on se dirigeait vers quelque chose que je ne parvenais plus ni à assumer ni à apprécier. Simple crise me répondaient certains quand d’autres me demandaient si je plaisantais.
J’étais en colère. J’avais envie d’autre chose, de quelque chose de plus simple, de quelque chose de vrai. Je ne voulais plus participer à cette course qui ne menait personne nulle part ailleurs que nulle part et surtout pas ailleurs. Je ne plaisantais ni n’étais vraiment sérieuse.
Alors j’ai parcouru les ponts, les trottoirs de la ville, les rues et les ruelles pendant des heures et des jours. Jusqu’à arriver à marcher des semaines entières. D’un seul coup, aussi vite que le sentiment était arrivé, il est reparti, sans que je ne comprenne vraiment d’où était venu cet immense dégout, ce gout amer dans la bouche, loin de qui j’étais avant. J’avais avalé le bitume pollué et m’étais perdue dans les dédales de mon cerveau, j’avais tourné en roue libre pendant que je ne cherchais plus à comprendre où j’allais et qui je devenais. Je me suis assise sur un banc, ouvrant grand les yeux face au soleil pour m’aveugler autant que je le pouvais. Je me suis posée toutes les questions, les bonnes, les moins bonnes, les absurdes, les inutiles et les plus futiles, passant à côté des toutes les essentielles que je frôlais du bout des lèvres avant d’abandonner. Je n’avais tiré aucune autre conclusion qu’il fallait continuer d’avancer encore et encore et surtout ne jamais oublier de remettre en cause tout, tout le temps. Pour autant, rien n’avait résolu mes questionnements, rien non plus n’avait supprimé ce qui m’avait dégoutée temporairement de la ville qui m’avait vue grandir, ni même occasionné de changement profond dans ce que je n’avais pas réussi à supporter. On repartait, comme en quarante m’avait soufflé mon grand-père, toujours, jamais on ne baissait les bras pour quelque chose qu’on ne comprenait pas.
Alors en rentrant dans le rang, de nouveau, je m’étais sentie piégée. Il me faudrait du temps pour être de nouveau anesthésiée.