En rouge en haut de la feuille de note, quelques mots griffonnés a la hâte « manque cruel d’ambition » et quelque chose qui ressemblait a « peu d’assiduité, présence réduite au strict minimum« .
C’était vrai. Je n’avais rien pour me défendre, aucune excuse, aucun chien n’avait mangé mes copies, aucune de mes grands-mères n’avait rendu l’âme. Pourtant ce qui aurait dû me faire prendre conscience qu’il s’agissait de moi, de ma vie, n’a eu qu’un effet contraire : en contrepartie de ces sentences, on ne m’enlevait rien, on me notifiait seulement que mon ambition était collée sur le premier barreau de l’échelle. Amarrée et engluée. Alors j’en foutais toujours le moins possible, me contentant du bénéfice secondaire hautement gratifiant – pour moi – d’avoir une place aussi absurde et dégradante fusse-t-elle, qui ne me plaisait pas mais dans laquelle je me complaisais comme un cochon dans sa fange. Et me donnait la possibilité d’être soutenue et plainte.
On m’offrait le gîte et le couvert et le seul inconvénient demeurait moindre : une fois par trimestre me confronter à la dureté d’une réalité à laquelle je n’avais d’autre réponse que mon je-m’en-foutisme habituel et désormais bien connu. Je ne saisissais pas le problème, je ne comprenais pas qu’au fond la seule personne qui soit concernée c’était moi et personne d’autre – même si, ricochant, mon comportement pourrissait la vie quotidienne de bon nombre de camarades. Je ne mettais jamais le doigt sur ce qui était important : ne me posant aucune question, j’avançais cahin caha sur un chemin bien huilé que la société avait tracé pour moi, j’étais à la fois le rouage d’une machine et son grain de sable. Comme on m’avait placée là et que je me répétais tous les jours que je n’avais pas eu le choix, je pouvais me plaindre en permanence de la situation. Et au lieu de faire évoluer les choses, de les faire avancer, petit à petit au mieux elles stagnaient, au pire elles reculaient.
Question de manque de maturité sans doute ou encore la marque que finalement la situation n’était pas terrible mais elle était supportable. Je m’en cachais au quotidien prenant ma figure triste des mauvais jours et victime collatérale d’un « système inhumain qui brise les gens » auquel je ne me sentais pas appartenir.
Intérieurement je n’avais même pas identifié le problème. Non seulement j’étais un parasite (en bonne compagnie, nous étions un petit groupe de personnalités similaires) mais je m’en gargarisais régulièrement et rejetais toute faute sur l’autre. Hormis ce bulletin scolaire qui me rappelait à mon inconstance et à ma légèreté, rien.
Un jour il y aurait sans doute une fin. Et ma vision court-termiste, tournée vers mon seul profit quotidien, prendrait la plus grande claque de sa vie. En attendant, j’étais là.