J’espère que tout va bien m’a-t-elle écrit. Quelques jours sans donner de nouvelles, oscillant entre l’oubli qu’elle existe et l’absence d’envie véritable de lui en donner. Une part de temps qui me manque aussi. Tout va bien oui je lui ai répondu. C’était faux mais on s’en fout, elle n’a pas besoin de le savoir. J’ai remonté les marches pour sortir du métro, un pincement au cœur en apercevant l’avenue près de laquelle se trouve mon ancien appartement. Un petit truc dénué d’espace mais néanmoins bien agencé, assez pour y vivre plusieurs années et y ramener autant de filles que j’en ai eu envie. En face de moi dans le métro, une fille, brune les yeux marrons, qui avait posé sa tête contre la vitre du wagon flambant neuf. Elle pleurait. Emma pleurait-elle aussi dans le métro ? Était-elle triste que je réponde aux abonnés absents ?
Aucune certitude, hormis sa force de caractère, mélange de fierté et de bonheur. Ce n’était pas une fille à être mélancolique. Elle rit tout le temps et ça ne cache jamais rien d’autre qu’un appétit insatiable de vie. C’est comme ça qu’elle se décrivait : j’ai faim de liens riait-elle quand on lui demandait comment elle faisait pour être aussi dynamique. Et puis ces derniers temps pourtant elle pleurait plus souvent, pour qui j’étais, pour ce que je lui imposais de mes silence et à elle d’abnégation.
Je suis passé devant mon ancienne boulangerie. Emma et moi on y allait pour acheter le pain le dimanche. Une foule monstre à la sortie de la messe mais comme on était jamais levés avant 11 heures, on ne parvenait pas à ne pas s’emmêler dans la queue de sortie de messe. Ce souvenir de rituel m’a poignardé d’un coup, comme si c’était révolu tout ça, la boulangerie, la messe, la file d’attente sur le trottoir, les chapeaux de vieilles et les cannes des maris. J’ai quitté le quartier et y ai laissé un morceau de ma vie, mes premières attaches, mon premier amour, mes premières soirées muées en nuits interminables. Je me suis terni en quittant ce qui avait fait de moi l’homme que je suis, pétri de contradictions mais aimant sa vie plus que tout au monde. En quittant mon quartier j’ai abandonné Emma et notre vie, nos moments de complicité main dans la main le long de l’avenue qui emmène au RER, ces mêmes moments d’ivresse à dessiner sur les tables comme deux gosses à qui on offre une nappe en papier et des craies grasses. J’ai aussi quitté la femme que j’ai aimée. J’espère que tout va bien m’a écrit Emma. Je me noie Emma. Et ma vie sans toi ne veut plus rien dire. Pardon de t’avoir abandonnée. Je n’oublie pas que tu existes, je voudrais n’avoir jamais quitté mon nid. Le vent s’est mis à souffler, le ciel bien noir annonçant une ambiance bien humide. Rien n’est grave, Beirut sifflotait dans mes oreilles. Je voudrais qu’on recommence comme avant. Mais c’est trop tard. Je suis trop con Emma.
Devant la vitrine du Monoprix, un gamin jouait à la marelle, un deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, CIEL ! Il a refait une fois le tour et puis une autre, il ne se lassait pas. À côté de lui une jeune femme dont on ne saurait dire s’il s’agissait de la mère ou de la soeur le regardait en souriant. Certains passants me frôlaient quand d’autres me bousculaient franchement. Pourtant je ne sentais plus rien d’autre que le vent qui s’engouffrait dans mon col et glaçait ma peau. Je suis resté un moment à regarder le gamin. Une minute, peut-être deux ou trois. La jeune femme me fixait du regard. En baissant les yeux, j’ai compris que mon attitude pouvait paraitre incongrue. Quand j’ai relevé la tête, des larmes s’étaient immiscées sous mes paupières. Le quartier, le vent, Emma, le reste, ce que je n’aurais jamais et ce que j’ai perdu. Un peu de tout. Un peu de rien. J’ai continué à marcher sous le vent, la pluie arrivait, je le sentais, comme la cerise sur le gâteau d’une mélancolie mêlée à de la nostalgie. Mon ignorance crasse de comment les gens fonctionnent m’a porté cet énième coup, celui de trop, celui qui veut dire plaque tout et ne te retourne pas. Vivre ensemble sans faire de nos amours des mélodrames je ne sais pas faire Emma, je suis désolé. Beirut avait laissé place à d’autres à mesure que je marchais jusqu’au parc. La pluie tombait à présent et trempait ma veste. Je n’en avais plus rien à foutre. Je n’avais aucune idée de ce que je ferai au parc, pourquoi j’avais fait quarante-cinq minutes de métro pour y parvenir, ni même pourquoi maintenant. Au loin on apercevait les grilles, une grande porte en ferraille derrière laquelle des poneys se baladaient avec des gamins quand il faisait beau, derrière laquelle aussi de jeunes couples avec ou sans poussette s’allongeaient sur l’herbe le dimanche pour pique-niquer. Avec ce temps, il n’y avait personne. J’ai franchi l’entrée, tremblant de froid sous les gouttes de pluie. Et je suis allé m’échouer sur un banc.
Je suis trop con Emma. Je te demande pardon.