Une orange, un citron, du beurre et une tasse pour ton café – la cafetière faisait ce bruit atroce qui indique que le café est en train de couler – avec deux sucres sur une coupelle. Le jour ne s’était pas encore levé sur ta journée. En regardant le tapis du salon, j’ai découvert une poignée de cheveux bruns. Que j’ai laissée par terre, je t’imaginais dire qu’ils n’iraient pas tomber plus bas, et tu n’avais pas tout à fait tort. Ils n’allaient pas disparaitre non plus et je me doutais qu’en rentrant ce soir, ils n’auraient pas bougé.
La ventilation de la salle de bain venait de s’arrêter, enfin, quand je me suis souvenue qu’il fallait que j’attrape le fond de teint. Quand on allumait la lumière la ventilation se remettait en marche pour dix minutes. Je ne comprenais pas comment tu pouvais ne pas l’entendre. Les cachets te rendaient-ils sourde ? Je ne connaissais plus tes souffrances que tu cachais de plus en plus et pourtant j’estimais à juste titre que tu te devais de me parler, de m’expliquer, que je prenne une partie de ta douleur pour mienne et que, malgré tout, je puisse rester à ma place, comme quand tu étais petite et que rien ne pouvait t’arriver de plus méchant qu’une égratignure après une chute un peu brusque à vélo. Au lieu de ça on se ne parlait presque plus, on s’ignorait, moi parce que je ne savais pas quoi te dire et toi parce que tout ce qui venait de moi ne pouvait être qu’une erreur.
Je ne sais pas de quoi tu souffrais le plus, quoi de tes silences ou de ton visage renfermé était le plus difficile à accomplir. C’est si terrible d’accepter la main que je te tends ? C’est si terrible de penser que je ne suis là par amour plus que parce que j’y serais obligée ? C’est si grave de se laisser aider par quelqu’un que tu crois détester ? Nos différences se sont creusées avec le temps, nos vies ne sont pas les mêmes, je n’aspire pas à ce que tu sois la plus brillante, j’espère seulement que tu prends tes décisions en accord avec ce que tu es et qui tu es. La ventilation de la salle de bain s’était enfin arrêtée et je me suis assise sur le canapé. On avait si peu d’années d’écart. J’ai regardé ton petit déjeuner avec tristesse et ton manteau posé sur l’accoudoir du canapé avec agacement de ce que tu n’écoutais plus quand je te demandais de ranger tes affaires dans le salon. De la poche gauche sortait Le découragement. Tu en avais parlé à ton frère au téléphone hier soir quand il t’a demandé comme tu allais, j’avais collé mon oreille à la porte de ta chambre pour entendre. Une histoire sur comment est-il possible d’écrire le découragement. Ce sentiment que tout glisse sans que tu ne puisses enrayer quoi que ce soit. Quelque chose que tu semblais avoir avalé en quelques heures, loin d’être abattue par la fatigue du traitement. De temps en temps tu as dis être découragée, murmuré, là, au bout du fil du téléphone, tu confiais à ce jeune homme tout ce que tu ne me disais plus.
Le café était prêt, le jour n’était toujours pas levé et tu dormais à poings fermés dans ta chambre d’adolescente, la musique de ton réveil s’était mise en route sans que je ne sache pourquoi tu avais décidé de te lever. La mer n’était pas très loin après tout.
J’ai attrapé mon sac, de peur de te croiser au moment où tu sortirai de ta chambre, il fallait que je parte. Un dernier regard vers ton petit-déjeuner. J’ai refermé la porte sur ton matin et, la main tremblante, j’ai serré Le découragement contre moi.