L’enfance

Il est beaucoup question d’enfants dans ses dessins, de petits personnages les yeux fermés, devant des maisons, dans des jardins, sur des manèges sans chevaux de bois. Il a des frères et des soeurs ?

Cette question, un peu absurde compte tenu de la fiche de renseignements que je lui avais fourni pour le petit le lendemain de la rentrée, taraudait la jeune enseignante qu’elle était. Nouvelle de l’an dernier dans l’école, elle ne connaissait pas notre famille recomposée et recomposable autant de fois qu’il était nécessaire les week-ends et vacances des enfants. J’avais décidé de lui répondre comme si elle n’avait eu l’information.

Oui. Des demis. Deux frères et une soeur plus âgés qu’il voit régulièrement, une semaine sur deux et la moitié des vacances.

Ça expliquerait qu’il soit attiré par les enfants plus vieux aussi.

Mon Dieu, elle essayait de trouver une explication à chaque chose que faisait mon fils. Quand bien même il jouait avec des enfants plus âgés dans la cour de récré je ne saisissais pas le rapport. Et s’il trouvait juste la compagnie des autres gamins un peu ennuyeuse ? Et si ces gamins avaient adoré jouer avec mon fils simplement parce que c’était lui et pas un autre. Et puis l’idée lui venait aussi des histoires que je lui racontais, partout, tout le temps.

Il parait que vous êtes écrivain ?

Il ne parait pas, je le suis. J’écris des histoires pour enfants, des choses qui parlent de monstres pour dédramatiser, des parents qui tiennent la main de leur môme pour aller chercher sous le lit avec eux et constater qu’il n’y a rien, d’autres qui se déguisent pour leur montrer combien le monde peut être différent d’une famille à l’autre. Mon fils était au milieu de tout ça une pièce rapportée, une source d’inspiration intarissable, un vivier d’idées inépuisable aussi. Naturellement je lui racontais les nombreux personnages enfantins, que je faisais souvent passer pour des frères et soeurs imaginaires.

Pendant ce temps-là, il jouait sous la pluie, trempé jusqu’à l’os certainement pendant que je le regardais faire. Son père aurait été là il aurait sans doute hurlé à l’inconscience. La maitresse avait l’air de s’en foutre.

J’ai aussi écrit avant des choses pour des adultes, sur des adultes. Je me suis renouvelée, c’est tout. 

Mais il n’a jamais rien lu de vos autres écrits ?

Il ne sait pas lire.

Comme si elle ne le savait pas. Mes histoires passées n’ont aucun lien avec le caractère de mon fils. Les choses que j’ai racontées, toute, sont sans communes mesures avec les monstres des livres pour enfants, elles n’intéressent pas mon fils. Et je le comprends. La pluie dehors s’était calmée. Pas moi. Je sentais venir la question du père. Elle allait débarquer comme si finalement outre les histoires de monstres l’absence de géniteur posait problème.

Oui, il ne sait pas lire devant moi, ni vous, mais ne lit-il pas en cachette ? Est-ce qu’il arrive à déchiffrer seul les panneaux sur le bord des routes ? Ou des paquets de biscuits ?

Non. Pas que je sache. La baby-sitter ne m’en a jamais parlé non plus.

Et son père, qu’en pense-t-il ?

Je l’ai mis dehors.

Ah. Ça ne pourrait pas …

Non ça ne pourrait pas. Il n’y a aucun rapport entre le fait qu’il ne connaisse pas son père et ce qui le rend associal.

J’avais très envie de clore la discussion, d’enrouler mon fils dans mon manteau après lui avoir enlevé pantalon, chaussures et pull trempés et de le glisser sur le siège arrière de ma voiture pourrie, l’emmener loin, loin de ces questions de père qui ne mèneraient nulle part ailleurs que « on ne le retrouvera pas de toute façon« . Quatre ans que je n’avais pris de nouvelles de lui et que réciproquement il n’en avait pris de moi. Son fils, il lui envoyait un chèque une fois par trimestre, jamais du même endroit, toujours ici et là et je n’avais besoin de lui courir après pour lui proposer une après-midi en famille.  Mon fils en pâtira sûrement. Il m’en voudra aussi, il sera de ceux dont le père reste inconnu malgré le nouveau conjoint, il restera le fils sans père. À l’adolescence, il me détestera d’avoir mis dehors la figure paternelle et ne se rapprochera jamais de son actuel beau-père. C’est comme ça. Né de père connu mais jamais vu. Un fils sans père.

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