Tu vois chère amour

Tu vois mon amour, je ne suis guère en phase avec la névrose, le temps, la mort, les gens. Je n’ai que faire de ton ingratitude et de cette incapacité tenace à remplir le vide que tu crées autour de toi. Tu vois chère amour, je m’envole de plus en plus avec le vent et avec moi cette conviction qui chaque jour grandit de celui qui ne veut compter ce et ceux qu’il aime. Je trace des sillons avec chaque pas que je fais pour que quand je me retourne à la manière du Petit Poucet et de ses cailloux je sois en mesure de retrouver un semblant de chemin. Pour savoir pourquoi et comment j’en suis arrivé là. À vrai dire tendre amour, nous ne sommes finalement l’un pour l’autre rien d’autre que celui et celle qui marchent à côté sans rien se dire, sans maudire. Nous n’étions pas comme ça, nous nous sommes aimés, vraiment, sincèrement. Et puis j’ai changé tu sais.

Tu vois mon amour, je ne souffre presque plus de ta présence incertaine et de tes réponses laconiques. On dit les hommes torturés et enfantins, loin de la réalité. Incapable de s’engager dans autre chose qu’un compromis à la légère. C’est mal me connaître chère amour. J’aurais voulu construire, j’aurais voulu t’aimer autant que toi. Mais j’ai changé tu sais. J’ai posé ma valise, j’ai cessé de partir pour un oui. Pour un non. Je me suis construit au moment où tu commençais à détruire tout ce que avais voulu de nous. Alors je me suis assis de plus souvent à côté de toi, ma main sur ta cuisse, j’ai regardé le blanc de tes yeux quand tu pleurais en regardant un film triste. Je n’ai plus jamais eu envie de pleurer. Tu m’avais montré ce que jamais je ne voulais faire de nous, un duo bancal. En m’asseyant sur le canapé en cuir qu’on avait acheté à deux, j’ai pris la mesure de ce que tu voulais dire par ta folie m’encombre. Ma folie c’est un pan de ma vie, c’est l’espoir d’être quelqu’un d’entier, quelqu’un à part entière, quelque qui aime, vit et rit sans compter. Tu vois je suis plein d’espoir. C’est un nouvel élan pour moi, j’espère que tu comprends.

J’attrape mon verre avant de clore cette missive, une gorgée d’un vin unique. On dit souvent que les écrivains sont alcooliques. Je n’y peux rien mon amour. Tu vois les doigts glissent sur le clavier à une vitesse folle, ce que je veux te dire, ce que je pense, le tout grouille dans mon cerveau, la musique dans ma tête n’est qu’un amas de mots qui s’alignent automatiquement. Cette tendresse ressentie pour toi s’est étiolée , elle a filé et j’ai peur de la contagion tu sais. Je t’aime mon bel amour. Ou peut-être que je t’ai seulement aimée.

PS : garde le chien.


Une certaine vision de l’espoir, mot glissé par Jean-Noël.

Histoire courte.

J’ai allumé le four et y ai glissé les pommes de terre sous leur couche de fromage, machinalement, sans regarder ce que j’y mettais. Je n’avais que faire du plat qui allait cuire, à vrai dire je ne pensais à rien d’autre que ce que tu venais d’asséner à nos vies, ce coup qui faisait voler en éclat un quotidien que je chérissais depuis quelques années. Après ton retour.

Sans me prévenir tu as décidé de couper le fil qui nous reliait encore à cette famille que nous avions fabriqué de toutes pièces, avec les uns. Avec les autres aussi. Sans me prévenir toujours tu as appelé Mariane, et lui a demandé de t’héberger ces jours de transition, elle a dit oui après quelques secondes d’hésitation. Je n’ai pas compris pourquoi elle ne m’avait rien confié, à moi. Nous étions amies et tu venais saccager ce que nous avions mis des mois à construire, pourtant elle ne m’avait rien dit. Les raisons de ton départ étaient encore obscures mais honnêtement je m’en foutais pas mal. Tu étais revenu après des années de silence et le visage de maman qui se décomposait au fil des mois.

Nous, on avait juste besoin de toi, de tes rires à table, de tes coups de gueule quand on parlait trop fort alors que tu regardais la télé ou quand tu cherchais une chemise et que tu désespérais de ne pas la trouver. Nous, on pensait que jamais tu ne serais capable de repartir. Depuis que tu étais rentré, il y a peut-être cinq ou six ans, nous avions changé entre temps, nous nous étions renforcés, soudés les uns aux autres, nous cinq. Six. La porte du four était brulante mais je n’avais pas senti la chaleur sur ma main. Zazie chantait à tue tête dans la chaine-hifi du salon et j’aurais eu envie qu’elle se taise, parce que mon cerveau bouillonnait. Trop. J’aimais la vie que nous menions depuis que tu étais revenu et personne ici ne comprenait pourquoi tu repartais, personne ici n’avait anticipé ce nouveau départ. Tu passais d’une ville à l’autre depuis des années, mais tu avais réussi à nous faire croire à nous, que tu savais ici te stabiliser et aimer ce que nous étions. Ne repars pas. Le gratin sera meilleur ici qu’ailleurs. C’est une promesse.

Ton départ pour elle

Personne n’aurait pu dire. Personne n’aurait pu penser que. Et c’est arrivé. Il est parti. Comme nous étions arrivés l’un et l’autre dans nos vies, avec cette effraction en douceur qui a fait de nos premiers moments quelque chose qui ressemblait à une conquête animale ou une drague adolescente. C’est arrivé vite. Sans que je ne puisse le voir. Sans que je ne puisse ressentir autre chose que du soulagement, une respiration qui m’avait quittée finalement, une pause que je n’avais pas eue depuis quelques mois, presque un an sûrement. Ces absences de disputes et ces fuites, cette odeur particulière d’une douche en rentrant du bureau, celle aussi de l’alcool, doucereuse, embaumant l’air de ton entrée dans le salon, un baiser déposé sur mes lèvres. Ces horaires inconstantes, autant que ta personnalité. Ces « je t’appelle » qui n’étaient plus suivis de ce coup de téléphone. J’aurais dû le voir venir, le sentir, le penser, l’anticiper. Tes mensonges n’avaient d’égal que ton incapacité à être adulte, un enfant aurait prétexté la perte de sa montre quand tu arguais l’oubli de ton téléphone dans le tiroir de ton bureau. J’aurais voulu ne pas souffrir, mais c’est impossible de ne pas souffrir quand on aime. C’est impossible de ne pas pleurer quand on sent que tout s’en va, les dernières semaines après ces dix années heureuses. Après dix ans sans tâche, sans autre souffrance que le jour où j’ai perdu ma mère, tu fuyais avec une femme qui te donnerai ce que je n’avais sans doute pas su te donner.

Qui elle était, pourquoi, comment, j’en avais rien à foutre. Tu partais parce que tu étais mieux avec elle qu’avec moi. Qu’importe que les conséquences soient si lourdes à payer, si terrible à cicatriser. Il ne reste rien de toi en moi. Tu t’es glissé chez elle avec la dextérité d’un chat qui cherche à sauter sur un oiseau, à pas feutrés, m’a raconté ta soeur. Tu n’existes plus chez moi. Tu n’es qu’un souvenir, une trame, quelques glorieux tuteurs dans ma vie.

J’ai dit « Ne reviens plus jamais ». Quand il est parti, pendant des heures et des heures après la dernière valise attrapée sur le paillasson, je me suis mise au piano et j’ai joué, tout, tout, tout ce que je pouvais être en état de jouer. Avec cette sensation que tout s’écroulait, que je perdais la vie, que mes veines jamais ne pourraient retrouver cette vigueur et la solidité que je pensais avoir avec l’homme qui me préparait ces plats que je ne savais pas faire. Je venais de terminer un roman dans le train, quelques jours avant. J’ai cessé de jouer et ai écrit notre histoire, aussi fidèlement que j’ai pu, de peur de l’oublier un jour, avec cette pudeur qui a caractérisé tout ce que j’avais pu vivre à tes côtés, ce temps passé à faire ce que je n’avais jamais fait auparavant et cet air que j’avais su respirer alors que mon environnement était jusqu’alors irrespirable. J’ai écrit jour et nuit pendant presque un mois, dormant par à-coup, quelque fois, buvant plus que de raison. Il en est sorti ce qu’il en est sorti. J’ai cessé d’ouvrir ces bouteilles. Je me suis guérie de ton départ avec une pute.