Le vélo remontait la côte à vive allure. Le vent dans le dos, la pluie dans le cou, la cycliste devant moi fendait les kilomètres à une vitesse inversement proportionnelle à celle de mes efforts pour parvenir à péniblement franchir mes étapes personnelles. Comme suite à un coup de poing dans les côtes, une masse au niveau de l’abdomen m’empêchait de respirer correctement l’air suffisant pour avancer, je végétais sur la place de ma petite vie rangée et tristement réglée comme une horloge. J’écoutais les mêmes chansons en boucle, lisais les mêmes livres de philosophie que quand j’avais treize ans, des hanches larges et de l’acné ingrate. Je laissais passer des occasions de prendre des risques et patientais tranquillement en attendant que mon heure vienne. Je ne savais toujours pas de quelle heure il s’agissait quand j’ai aperçu la vieille cycliste arrêtée au feu rouge, le pied à terre.
J’attendais depuis 36 ans, passivement, sans vraiment comprendre pourquoi j’attendais et de quel courage je manquais pour m’octroyer ce dont j’avais enfin besoin. J’avais mis des années à me rendre compte qu’aimer veut aussi dire souffrir et prendre des risques. J’avais également attendu de comprendre que 36 ans c’était vieux et moche. Ni aussi rond que 35 ni aussi beau que 37.