Sans titre.

Je n’écris jamais sur ma vie et celle de ceux que je côtoie. Par respect et par pudeur aussi, ce qu’on vit ne regarde, la majeure partie du temps, que soi, que la part de privé qu’il reste dans nos vies. Aussi parce que j’aime jouer avec l’incertitude de ceux qui lisent et se demandent si j’ai déjà vécu ou vu ce que l’écriture raconte. On écrit certes avec notre coeur, avec notre corps, mais laissons à l’imagination ce qu’elle est, quelque chose que la vie, notre vie, façonne, inconsciemment et qui ne vit ou n’a pas vécu, nécessairement ce qu’elle crée. Pourtant, pour une fois, je laisse quelques lignes de moi, bien plus précises, bien plus fines. D’habitude, je n’écris jamais de moi. Pas cette fois. Et l’histoire finit mal. 

Je me souviens de sa petite main accrochée au chambranle de la porte. Je quittais les quatre murs qui la retenaient prisonnière en me disant qu’elle ne passerait pas le mois. Qu’elle allait s’en aller. En partant, ses parents m’ont raccompagnée je ne sais plus par quel moyen, sans doute en voiture comme nous étions arrivés. Je me souviens du froid de Garches et des malades qui marchaient entre les voitures. Quiconque a déjà marché avec un patient à Garches sait qu’il ne reste que peu de temps à vivre.

Et pourtant, elle est ressortie, avec le presque-sourire. Jusqu’à la prochaine fois, jusqu’à cette fois-là. Il ne me semble pas qu’il y en ait eu d’autres. Ou peut-être que je me trompe. On est finalement jamais préparé sans doute même si on se surprend à se dire qu’il faudrait peut-être que ça s’arrête et parce qu’on est en colère. On a pas eu le temps de plein de choses, parce qu’elle ne pouvait pas. On aura à présent plus jamais le temps, est-ce que c’est tant pis, est-ce que c’est injuste, est-ce que c’était prévisible ? Peut-être. Est-ce qu’il faut regretter de ne pas avoir été assez présent, est-ce qu’il faut regretter les dernières engueulades, est-ce qu’il faut penser qu’on aurait pu faire mieux ou autrement ? Non.

Finalement le plus terrible dans tout ça c’est pas forcément se remémorer tout ce qu’on a pu perdre, tout ce que j’ai pu perdre, et tout ce qu’elle laisse, non, mais davantage penser que le deuil passera aussi par une nécessaire prise en compte que, vous ne la connaitrez jamais, vous ne connaitrez jamais vraiment qui elle a pu être lorsque je l’ai connue. Vous l’avez peut-être croisée, une fois, ou peut-être pas. Vous ne pourrez jamais la croiser.

Quand le téléphone a sonné alors que j’étais en réunion, j’ai su de quoi il s’agissait, j’ai su parce que je n’avais parlé à la personne qui m’appelait depuis longtemps. Alors j’ai laissé sonner, une fois, puis deux et enfin trois. Peut-être plus. Le répondeur s’est déclenché et je me suis recentrée sur cette réunion en pensant que je n’avais surtout pas envie qu’elle se termine, que j’ai à écouter le message laissé. Je savais. En revenant à mon bureau, je savais qu’il fallait que je le fasse. Une voix lointaine s’est faite entendre. J’ai rappelé. Après la colère des premières minutes, de cette colère insondable dont on oublierai presque qu’elle reste, malgré tout, plutôt saine si on ne reste pas figé, j’ai raisonné pratique. J’ai ramassé quelques affaires et prévenu que je devais partir. Toujours en colère en marchant pour rejoindre le métro, j’ai ressassé pourquoi ce n’était pas le bon moment, même si pourtant je la savais de plus en plus fragile, je la sentais en train de changer, je la sentais plus lointaine aussi mais parfois plus apaisée. Notre dernière conversation s’était terminée sèchement mais je ne m’en voulais pas. C’était comme ça. En réalité, ce que nous savions tous aussi c’est que ce n’est jamais le bon moment pour partir. Qu’il reste encore des tas de choses à vivre. Des tas de choses à créer, à penser et à jouir. Qu’elle avait une force incroyable aussi, qu’on ne soupçonnait pas. C’est en m’asseyant dans le métro que je me suis effondrée, que j’ai compris qu’elle était partie. Elle ne lira jamais ces quelques lignes mais elle les a maintes et maintes fois entendues. Elle savait que toujours j’étais là, même si parfois c’était difficile, c’était compliqué. Elle n’aurait pas eu besoin de les lire, elle savait. La colère commençait à cohabiter avec autre chose, rapidement. La tristesse peut-être ? La peur ? Ou autre chose que je ne suis pas parvenue à nommer, même quinze jours après. Alors je me suis raccrochée à son regard, là-bas, à Garches.

Elle n’en pouvait plus. Et quand elle avait levé les yeux, toujours accrochée à cette porte, ils étaient plein de larmes. On est jamais prêts en fait.

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