De la tristesse d’être apolitique dans une démocratie occidentale.

Vingt-trois pauvres jours ont passé depuis que la foudre s’est abattue sur une partie de la population française. Parler d’ensemble serait mentir, c’est davantage une partie qui semble s’accorder à dire que la barbarie n’a pas sa place en France mais aussi à travers la planète. Touchés sur notre territoire, on pourrait croire à une prise de conscience collective du prix de la vie dans nos sociétés occidentales et a fortiori loin la-bas aussi dans des endroits moins proches. Et du besoin d’unité – tous des êtres humains – pour faire avancer une société. Plus de 4 millions de personnes ont marché à travers le pays, de quoi redonner un peu d’espoir au sein d’une société pour le moins individualiste. Alors oui, après ça on doit changer.

L’obligation fondamentale

Ça n’est pas qu’une question rhétorique, c’est une obligation fondamentale : il faut continuer. Continuer à avoir espoir quand on prend les transports avec toute cette foule et être émue qu’elle existe. Aussi il faut soutenir les petites initiatives individuelles, les petites briques pour une société plus juste et moins scindée entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas “mais c’est de leur faute ils l’ont bien mérité”. Il faut continuer de penser que l’empathie sert davantage que le conflit de prime abord. Et d’avoir foi en soi, en l’autre. Ce n’est pas aux citoyens de pallier le manque de décisions politiques ou de courage au sens où le politique au pouvoir doit assumer sa position.

Et ce même si j’ai naïvement cru qu’on allait mettre de côté la loi du mort-kilomètre comme ça, d’un seul coup. Qu’on verrait à travers nos infos ce qui fait le monde d’aujourd’hui dans certains coins du globe et qu’on se lèverait tous aussi contre ça.

Plus proche de nous, chez nous, j’ai aussi naïvement cru qu’on allait prendre le mal a la racine et qu’on allait faire ce bilan qu’il faut que des réformes de profondeurs soient menées. Qu’on allait enfin comprendre par quel bout il fallait agir et qu’on arrête de vouloir errer dans la répression contre-productive à bien des aspects.

Comment on fait ?

Par réforme de profondeur il faut surtout lire qu’on fait des constats – scientifiques, n’en déplaisent aux sciences dures, les sciences sociales sont aussi fiables – mais pour une grande majorité aucun ne débouche sur une mesure à la fois juste et intelligente. Pourquoi ? Parce que notre cartésianisme annihile toute forme de pensée philosophique au point de ne jamais prendre les rapports – sociaux et sociétaux – empilés sur un coin de bureau pour quelque chose de potentiellement solide et qui servirait de base ?

Comment on a observé le déclassement et la ghettoïsation en banlieue en sciences humaines et sociales – point convergent des itinéraires des plus radicalisés, de Merah aux frères Kouachi avant même leurs rencontres avec leurs « mentors » – et surtout qu’est-ce qu’on en a fait ? Rien.

C’est marrant comme tout le monde était pendu aux exploits de Philae alors que tous les jours en sciences humaines et en sciences sociales, des livres de terrain, d’enquête formidables sont écrits et des chemins de pensée établis. Sont-ils seulement lus ? Qui des grands décideurs politiques a lu l’anthropologie de la condition carcérale de Didier Fassin et son constat “d’effets délétères des logiques strictement punitives » ? Qui avait lu l’ouvrage de Stéphane Beaud « 80% au bac et après » ? Des thèses en sociologie, il y en a sur tout : les jeux vidéo et la manière d’être au monde, sur la consommation de drogue, sur les PPP et la financiarisation de la commande publique, sur les changements de la représentation au travail, sur les stratégies d’adaptation collective des ouvriers dont l’usine ferme, sur le marquage scolaire des classes populaires, sur l’auto-entreprenariat et sa tacite acceptation comme norme, etc etc. Autant d’études disponibles – de personnes avec qui j’ai eu l’occasion de travailler ou que j’ai rencontré au cours de mes études, que je sais fiables et sérieuses et ô combien professionnelles – à portée de main pour comprendre quelles sont les marges de manoeuvre et vers où la société va.

Mais hélas, il est plus important de penser résoudre (ou on fait semblant de vouloir) les grands problèmes de la société à coup de volonté unique d’inverser la courbe du chômage.

De là, le souvenir de la joie de Michel Sapin, alors ministre du Travail, en voyant que le chômage (en réalité le chômage de catégorie A) avait diminué en octobre 2013. C’était vrai, ce chômage là avait diminué (de – 0,6%) quand celui des deux autres catégories avait augmenté (+4%) au moment des …. fin d’emplois saisonniers en Champagne Ardennes, Bourgogne et dans l’Aisne – les vendanges furent tardives dans ces régions. “Simple” bascule d’une catégorie vers une autre.

Alors que finalement

Alors voilà, déjà vingt-trois jours ont passé. Et finalement, aujourd’hui encore on suit des procédures cadrées, on envoie des envoyés spéciaux prendre la température, on s’offusque mollement d’une situation, on aimerait bien museler presse et lanceurs d’alerte, on recule sur des principes et on coupe les vivres des services publics, laissant au bout de la chaîne (au choix infirmiers ou gardien de prison) la seule responsabilité du mauvais traitement des patients ou détenus. Mon dieu que c’est inhumain.

Alors même que les décisions tous les jours sont prises en dépit du bon sens et à la manière d’une girouette qui change selon le sens du vent. L’écotaxe de Royal en est l’exemple le plus frappant. La judiciairisation galopante en est un autre : on a auditionné un gamin de 8 ans pour apologie d’actes de terrorisme ou son père on ne sait pas trop. Les réactions de certains syndicats, pardon, certains partenaires sociaux, à des nécessités de réformer le code du travail et d’assouplir un marché complexe en est un autre. Ils font bloc sur une base claire “on ne revient pas là-dessus”. Fermant les yeux sur une jeunesse bien plus précarisée que ses aînés et validant des acquis sociaux qui plombent certaines petites sociétés comme empêchent certains plus jeunes de pénétrer des entreprises socialement privilégiées. À privilégiées il faut entendre qu’une chaise de bureau cassée est remplacée grâce à un simple signalement par mail. Parce que la préservation de certains acquis ne se fait pas au détriment des entreprises (et au bénéfice des salariés en général) mais de pauvres jeunes dont l’accès au marché du travail est sous le coup d’un intense lobby qui continue de croire qu’il protège et défend l’ensemble.

Naïvement j’ai donc pensé qu’on serait – enfin ! – moins cons. Naïvement j’ai cru un instant que cet électrochoc suffirait à modifier radicalement certaines positions politiques autrement que par des effets d’annonce d’augmenter le nombre de flics en charge de l’antiterrorisme. “En réaction à” alors même que l’amont est de plus en plus délaissé. C’est sur qu’intervenir après et se glorifier de prendre 15 points dans les sondages c’est facile, à l’aise. Par contre c’est un peu tôt si la visée est électoraliste : 2016 aurait été préférable.

Et puis après ?

On continue de dire que les chômeurs sont des assistés ? Que les jeunes sont des branleurs ? Que les plus pauvres n’ont que ce qu’ils méritent parce que quand on veut on peut ? Que les « Français issus de l’immigration » [sic] doivent arrêter de profiter de la société ? Que les couples gay et lesbiens ne devraient pas avoir d’enfants parce que “un papa et une maman » ?

Dans une démocratie occidentale comme la notre, être apolitique est d’une tristesse sans fin.

4 réactions au sujet de « De la tristesse d’être apolitique dans une démocratie occidentale. »

  1. Je me dois de signaler, que ‘est impossible de lire cet article une écriture grise sur fond blanc, ça pique vraiment les yeux, c’est joli certes mais illisible !

  2. « Parler d’ensemble serait mentir, c’est davantage une partie qui semble s’accorder à dire que la barbarie n’a pas sa place en France mais aussi à travers la planète. » C’est un point de vue, quand on parle du verre à moitié vide ou à moitié plein, j’ai l’impression que cette phrase relève plus d’un point de vue un peu dystopique dans le sens où

    « Ce n’est pas aux citoyens de pallier le manque de décisions politiques ou de courage au sens où le politique au pouvoir doit assumer sa position. »
    Je suis d’accord que les politiciens doivent assumer leur positions, et aussi leur responsabilités. Mais je trouve que le mot politique est galvaudé et perd de sens originel lorsqu’il est employé. C’est justement au citoyens que revient la politique, d’ailleurs la majorité des citoyens n’ont souvent pas conscience de leur propre pouvoir politique. L’acte politique a plusieurs formes, que l’on peut envisager : par exemple lorsqu’un le patron d’un société fait un des dons ou actions caritatives c’est une action politique. Lorsque le français lambda remet en question ses habitudes de consommations qui ne sont pas toujours éthiques en essayant de trouver des alternatives viables, c’est de la politique.

    La naïveté c’est pas bien grave lorsqu’on s’en rend compte, c’est ce que l’on fait ensuite – à notre humble échelle – qui compte. Personnellement je n’ai jamais cru a un changement du côté des politiciens mais je pense que le changement a déjà commencé dans le peuple, une minorité peut-être mais ce n’est pas négligeable et pas forcément visible sans une médiatisation.

    Et en fin de compte je ne pense pas qu’une personne apolitique existe vraiment dans le sens où une personne a toujours des opinions politiques et je ne parles pas de camps ou de politiciens. Et je partage ton point de vue sur l’ensemble de l’article.

    1. 😉 Merci pour ces remarques.
      Je soutiens l’existence de l’apolitique en tant que conviction politique au sens actuel du terme. Mais effectivement je vois ce que tu veux dire sur l’opinion politique différent de la croyance au politique.