Lui & moi

Lui et moi. On avait décidé qu’on allait s’aimer. Lui & moi. Pour une fois j’avais pas décidé d’aimer toute seule, comme une pauvre conne à gratter à sa porte la nuit à 4 heures du mat’ parce qu’il m’avait envoyé le texto qui faisait que je prenais rapidement une douche et attrapais un taxi. Et débarquais fraîche devant cette fameuse porte close, un paillasson Bienvenue juste devant. Le paillasson aurait dû me mettre la puce à l’oreille et pourtant j’accourais comme un chien (une chienne ?) qu’on sifflerait. Ce sombre con avait partagé quatre mois, peut-être cinq ? Ou six ? Je ne sais plus. De ma vie. Un type adorable je disais à tout le monde. Adorable mais qui a fini par jeter mes affaires un matin, mon sac, mes chaussures, mon manteau, sur ce fameux paillasson en me disant « putain j’ai peur de l’engagement laisse tomber, je peux pas te faire subir ça ». Au suivant.

Même principe, ce suivant. Sauf que c’était à mon tour de jeter ses chaussures sur mon propre paillasson pour ce problème d’engagement. À croire qu’ils s’étaient donné le mot. Tocard. S’engager pour quoi ? Qu’est ce que j’avais bien pu montrer qui a fait qu’un jour l’un puis l’autre puis les autres avaient cru que je m’engagerai dans quoi que ce soit. Tenir un agenda c’est compliqué pour moi vous savez. Prévoir d’un mois sur l’autre ce que je vais bien pouvoir faire de ma vie, encore plus. Projeter des vacances six mois avant pour booker des réservations, comment dire. Donc l’engagement.

Et puis Lui. Lui & moi. L’amour avec un grand A j’aurais pu expliquer à ma grand-mère si elle avait été encore de ce monde. L’amour. En vrai on avait pas décidé de s’aimer. On n’avait rien décidé du tout, ça nous est tombé dessus sans que ni lui ni moi ne s’attende à quoi que ce soit. Les premiers verres, les premiers émois, les joues qui rougissent, les heures devant la glace à se changer, se frôler le bras et retirer sa main un peu trop proche de la sienne. Rencontrer sa soeur sans avoir effleuré ses lèvres. Rougir encore. Et puis s’embrasser, doucement, prudemment un peu comme si on allait fondre l’un et l’autre comme deux cons sur ce bout de trottoir. On a pas fondu, on a continué d’avancer à deux. Une semaine, puis la deuxième, et la troisième et ainsi de suite jusqu’à six semaines. Je cherchais toujours le vice caché. Je ne le trouvais pas. Lui & moi on a revu sa soeur alors que nos corps s’étaient entremêlés. Après un temps fou donc. Je ne voulais pas revivre le coup de la porte qui se claque sans avoir vu venir les choses.

Semaine sept, la première dispute. Pour une couleur de pull. Je ne parvenais pas à assortir un superbe pull avec des chaussures pour sortir. Une heure après, j’avais changé de pull et enfilé de grosses chaussettes en laine sur un legging : je n’avais plus envie de sortir, il faisait froid et lui commençait à m’emmerder. Donc je me suis posée devant une série pourrie. Et lui est sorti. Un peu énervé mais pas tant que ça.

Donc lui & moi. L’engagement c’est aussi accepter de l’autre sans rechigner qu’elle porte un legging pourri et des chaussettes dans un état similaire. Avant lui – et après les autres – j’avais enlevé le paillasson, il devait porter malheur. On avait décidé de s’aimer. Et comme je tombe amoureuse dix fois par an, peut-être un peu moins, six fois si on compte l’an passé, la moitié de mes amis se foutait de mon aventure quand l’autre se demandait dans quel état ils allaient me retrouver (en l’occurrence comme souvent, une cuillère dans le pot de miel et toujours ce fameux legging, devenu gris avec les innombrables lavages). Je ne leur en tenais pas rigueur. Fin de la semaine sept, j’angoissais de savoir s’il allait m’appeler pour me demander si je pouvais acheter du pain. Pas une baguette mais du pain pour faire des hot-dogs mais cette question du pain à aller acheter m’angoisse, je ne fréquente plus les boulangeries autrement que pour acheter un pain au chocolat pour mon goûter si j’ai trop faim à 17 heures. Acheter du pain – même pour des hot-dogs – me ramène sans cesse à ma mère s’arrêtant tous les soirs acheter une baguette pour le dîner. Je suis comme ça.

Lui & moi pourtant on ne se prenait pas vraiment la tête pour ce genre de petits rien. il n’empêche, moi, cette organisation me plombait le moral à tel point que j’ai guetté avec une boule au ventre le moment où il appellerai pour me le demander. On en était au septième mois de l’année et j’étais tombée amoureuse de deux connards, un type malchanceux et d’un mec plutôt sympa. Tombée amoureuse de deux connards en sept mois c’est déjà un beau challenge à relever, je vous mets au défi de rencontrer trois personnes, de vous amouracher à chacune d’entre elle et de vous ramasser à la petite cuillère une fois le coup de foudre passé, terminé, fini, on passe à autre chose de toute façon il/elle était trop con/conne pour savoir reconnaître que je suis quelqu’un de bien. Trois connards donc, et lui. C’était inquiétant de tomber sur un type comme lui en réalité. Inquiétant parce que trop doux pour être vrai.

Avant ces deux histoires de je te mets tes affaires dehors alors qu’on habite pas ensemble et qu’un « finalement je crois que j’ai pas envie » aurait suffi compte tenu de l’attachement volatile que je pouvais avoir – même si oui j’avais été amoureuse à me façon de ces deux mecs-là – nous avons le numéro un de l’année, palme d’or de la lose tellement il a cumulé les merdes en trois semaines. Pas de paillasson dans l’histoire mais un chat que je haïssais et qui m’avait fait découvrir un allergie aux poils de chats. De chien aussi peut-être mais je n’avais pas testé encore. La première semaine charmante, le lieu de rencontre dont tout le monde rêve, enfin pas tout le monde mais moi peut-être pour ce côté très publicité pour les transports en commun. Quinze jours après, j’avais fait trois crises d’asthme, il avait développé un eczéma géant au contact de mon shampoing premier prix et avait été renversé à vélo. J’avais perdu mon job et ma grand-mère était en train perdre la tête. On avait découvert un cancer à son père et le fisc lui annonçait le montant de son redressement. En trois semaines, je me suis dit qu’à tout moment ma vie pouvait basculer. Il était donc bien plus sage que chacun continue sa route, loin l’un de l’autre. On est tombé d’accord. Je suis restée prostrée un bon moment. Non pas parce que nous nous étions séparés – trois semaines de relation, est-ce être ensemble – mais parce que je flippais à présent pour tout ce que je faisais. Traverser la rue était pour moi synonyme de danger à partir de ce moment-là.Et donc ensuite les deux histoires de paillasson. Et de carpette de mon point de vue. Lui & moi. J’ai cherché ce qui n’allait pas, fermant les yeux pour mieux réfléchir sur ce nous deux qui me faisait peut-être un peu peur. J’associais beaucoup le nous deux à ce magazine avec des romans photos.

Donc j’ai fouiné. J’ai réfléchi. Et il m’a appelée pour me demander d’aller acheter le pain pour les hot-dogs en rentrant. Je ne viendrai pas je lui ai dit, je ne viendrai plus.

Ton départ pour elle

Personne n’aurait pu dire. Personne n’aurait pu penser que. Et c’est arrivé. Il est parti. Comme nous étions arrivés l’un et l’autre dans nos vies, avec cette effraction en douceur qui a fait de nos premiers moments quelque chose qui ressemblait à une conquête animale ou une drague adolescente. C’est arrivé vite. Sans que je ne puisse le voir. Sans que je ne puisse ressentir autre chose que du soulagement, une respiration qui m’avait quittée finalement, une pause que je n’avais pas eue depuis quelques mois, presque un an sûrement. Ces absences de disputes et ces fuites, cette odeur particulière d’une douche en rentrant du bureau, celle aussi de l’alcool, doucereuse, embaumant l’air de ton entrée dans le salon, un baiser déposé sur mes lèvres. Ces horaires inconstantes, autant que ta personnalité. Ces « je t’appelle » qui n’étaient plus suivis de ce coup de téléphone. J’aurais dû le voir venir, le sentir, le penser, l’anticiper. Tes mensonges n’avaient d’égal que ton incapacité à être adulte, un enfant aurait prétexté la perte de sa montre quand tu arguais l’oubli de ton téléphone dans le tiroir de ton bureau. J’aurais voulu ne pas souffrir, mais c’est impossible de ne pas souffrir quand on aime. C’est impossible de ne pas pleurer quand on sent que tout s’en va, les dernières semaines après ces dix années heureuses. Après dix ans sans tâche, sans autre souffrance que le jour où j’ai perdu ma mère, tu fuyais avec une femme qui te donnerai ce que je n’avais sans doute pas su te donner.

Qui elle était, pourquoi, comment, j’en avais rien à foutre. Tu partais parce que tu étais mieux avec elle qu’avec moi. Qu’importe que les conséquences soient si lourdes à payer, si terrible à cicatriser. Il ne reste rien de toi en moi. Tu t’es glissé chez elle avec la dextérité d’un chat qui cherche à sauter sur un oiseau, à pas feutrés, m’a raconté ta soeur. Tu n’existes plus chez moi. Tu n’es qu’un souvenir, une trame, quelques glorieux tuteurs dans ma vie.

J’ai dit « Ne reviens plus jamais ». Quand il est parti, pendant des heures et des heures après la dernière valise attrapée sur le paillasson, je me suis mise au piano et j’ai joué, tout, tout, tout ce que je pouvais être en état de jouer. Avec cette sensation que tout s’écroulait, que je perdais la vie, que mes veines jamais ne pourraient retrouver cette vigueur et la solidité que je pensais avoir avec l’homme qui me préparait ces plats que je ne savais pas faire. Je venais de terminer un roman dans le train, quelques jours avant. J’ai cessé de jouer et ai écrit notre histoire, aussi fidèlement que j’ai pu, de peur de l’oublier un jour, avec cette pudeur qui a caractérisé tout ce que j’avais pu vivre à tes côtés, ce temps passé à faire ce que je n’avais jamais fait auparavant et cet air que j’avais su respirer alors que mon environnement était jusqu’alors irrespirable. J’ai écrit jour et nuit pendant presque un mois, dormant par à-coup, quelque fois, buvant plus que de raison. Il en est sorti ce qu’il en est sorti. J’ai cessé d’ouvrir ces bouteilles. Je me suis guérie de ton départ avec une pute.