Mon amour

Cher amour,

je ne compte plus les mois qui nous séparent, je ne compte plus non plus les moments que nous aurions pu passer ensemble. Ton départ de ma vie, avec les cris et les larmes qu’on suppose, n’est plus la douleur des premières semaines. Je respire à nouveau. Je retrouve mes amis, mes amants d’avant ton arrivée, je repartage mes idées, mes envies et mes nuits. Il n’y a rien qu’on ne puisse regretter tu sais. Nous sommes si différents et nos chemins respectifs ne représentent plus rien pour toi ni pour moi, il n’y a d’amour que lorsqu’il y fluidité et sincérité et tes faux semblants n’ont fait que nous éloigner petit à petit. Je me sens si légère, si tu savais, de mes nuits je n’ai que le souvenir des douceurs et mes jours se sont remplis de joies et de peines, comme si j’étais à nouveau en vie, comme si j’avais envie.

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Tu vois chère amour

Tu vois mon amour, je ne suis guère en phase avec la névrose, le temps, la mort, les gens. Je n’ai que faire de ton ingratitude et de cette incapacité tenace à remplir le vide que tu crées autour de toi. Tu vois chère amour, je m’envole de plus en plus avec le vent et avec moi cette conviction qui chaque jour grandit de celui qui ne veut compter ce et ceux qu’il aime. Je trace des sillons avec chaque pas que je fais pour que quand je me retourne à la manière du Petit Poucet et de ses cailloux je sois en mesure de retrouver un semblant de chemin. Pour savoir pourquoi et comment j’en suis arrivé là. À vrai dire tendre amour, nous ne sommes finalement l’un pour l’autre rien d’autre que celui et celle qui marchent à côté sans rien se dire, sans maudire. Nous n’étions pas comme ça, nous nous sommes aimés, vraiment, sincèrement. Et puis j’ai changé tu sais.

Tu vois mon amour, je ne souffre presque plus de ta présence incertaine et de tes réponses laconiques. On dit les hommes torturés et enfantins, loin de la réalité. Incapable de s’engager dans autre chose qu’un compromis à la légère. C’est mal me connaître chère amour. J’aurais voulu construire, j’aurais voulu t’aimer autant que toi. Mais j’ai changé tu sais. J’ai posé ma valise, j’ai cessé de partir pour un oui. Pour un non. Je me suis construit au moment où tu commençais à détruire tout ce que avais voulu de nous. Alors je me suis assis de plus souvent à côté de toi, ma main sur ta cuisse, j’ai regardé le blanc de tes yeux quand tu pleurais en regardant un film triste. Je n’ai plus jamais eu envie de pleurer. Tu m’avais montré ce que jamais je ne voulais faire de nous, un duo bancal. En m’asseyant sur le canapé en cuir qu’on avait acheté à deux, j’ai pris la mesure de ce que tu voulais dire par ta folie m’encombre. Ma folie c’est un pan de ma vie, c’est l’espoir d’être quelqu’un d’entier, quelqu’un à part entière, quelque qui aime, vit et rit sans compter. Tu vois je suis plein d’espoir. C’est un nouvel élan pour moi, j’espère que tu comprends.

J’attrape mon verre avant de clore cette missive, une gorgée d’un vin unique. On dit souvent que les écrivains sont alcooliques. Je n’y peux rien mon amour. Tu vois les doigts glissent sur le clavier à une vitesse folle, ce que je veux te dire, ce que je pense, le tout grouille dans mon cerveau, la musique dans ma tête n’est qu’un amas de mots qui s’alignent automatiquement. Cette tendresse ressentie pour toi s’est étiolée , elle a filé et j’ai peur de la contagion tu sais. Je t’aime mon bel amour. Ou peut-être que je t’ai seulement aimée.

PS : garde le chien.


Une certaine vision de l’espoir, mot glissé par Jean-Noël.

Lui & moi

Lui et moi. On avait décidé qu’on allait s’aimer. Lui & moi. Pour une fois j’avais pas décidé d’aimer toute seule, comme une pauvre conne à gratter à sa porte la nuit à 4 heures du mat’ parce qu’il m’avait envoyé le texto qui faisait que je prenais rapidement une douche et attrapais un taxi. Et débarquais fraîche devant cette fameuse porte close, un paillasson Bienvenue juste devant. Le paillasson aurait dû me mettre la puce à l’oreille et pourtant j’accourais comme un chien (une chienne ?) qu’on sifflerait. Ce sombre con avait partagé quatre mois, peut-être cinq ? Ou six ? Je ne sais plus. De ma vie. Un type adorable je disais à tout le monde. Adorable mais qui a fini par jeter mes affaires un matin, mon sac, mes chaussures, mon manteau, sur ce fameux paillasson en me disant « putain j’ai peur de l’engagement laisse tomber, je peux pas te faire subir ça ». Au suivant.

Même principe, ce suivant. Sauf que c’était à mon tour de jeter ses chaussures sur mon propre paillasson pour ce problème d’engagement. À croire qu’ils s’étaient donné le mot. Tocard. S’engager pour quoi ? Qu’est ce que j’avais bien pu montrer qui a fait qu’un jour l’un puis l’autre puis les autres avaient cru que je m’engagerai dans quoi que ce soit. Tenir un agenda c’est compliqué pour moi vous savez. Prévoir d’un mois sur l’autre ce que je vais bien pouvoir faire de ma vie, encore plus. Projeter des vacances six mois avant pour booker des réservations, comment dire. Donc l’engagement.

Et puis Lui. Lui & moi. L’amour avec un grand A j’aurais pu expliquer à ma grand-mère si elle avait été encore de ce monde. L’amour. En vrai on avait pas décidé de s’aimer. On n’avait rien décidé du tout, ça nous est tombé dessus sans que ni lui ni moi ne s’attende à quoi que ce soit. Les premiers verres, les premiers émois, les joues qui rougissent, les heures devant la glace à se changer, se frôler le bras et retirer sa main un peu trop proche de la sienne. Rencontrer sa soeur sans avoir effleuré ses lèvres. Rougir encore. Et puis s’embrasser, doucement, prudemment un peu comme si on allait fondre l’un et l’autre comme deux cons sur ce bout de trottoir. On a pas fondu, on a continué d’avancer à deux. Une semaine, puis la deuxième, et la troisième et ainsi de suite jusqu’à six semaines. Je cherchais toujours le vice caché. Je ne le trouvais pas. Lui & moi on a revu sa soeur alors que nos corps s’étaient entremêlés. Après un temps fou donc. Je ne voulais pas revivre le coup de la porte qui se claque sans avoir vu venir les choses.

Semaine sept, la première dispute. Pour une couleur de pull. Je ne parvenais pas à assortir un superbe pull avec des chaussures pour sortir. Une heure après, j’avais changé de pull et enfilé de grosses chaussettes en laine sur un legging : je n’avais plus envie de sortir, il faisait froid et lui commençait à m’emmerder. Donc je me suis posée devant une série pourrie. Et lui est sorti. Un peu énervé mais pas tant que ça.

Donc lui & moi. L’engagement c’est aussi accepter de l’autre sans rechigner qu’elle porte un legging pourri et des chaussettes dans un état similaire. Avant lui – et après les autres – j’avais enlevé le paillasson, il devait porter malheur. On avait décidé de s’aimer. Et comme je tombe amoureuse dix fois par an, peut-être un peu moins, six fois si on compte l’an passé, la moitié de mes amis se foutait de mon aventure quand l’autre se demandait dans quel état ils allaient me retrouver (en l’occurrence comme souvent, une cuillère dans le pot de miel et toujours ce fameux legging, devenu gris avec les innombrables lavages). Je ne leur en tenais pas rigueur. Fin de la semaine sept, j’angoissais de savoir s’il allait m’appeler pour me demander si je pouvais acheter du pain. Pas une baguette mais du pain pour faire des hot-dogs mais cette question du pain à aller acheter m’angoisse, je ne fréquente plus les boulangeries autrement que pour acheter un pain au chocolat pour mon goûter si j’ai trop faim à 17 heures. Acheter du pain – même pour des hot-dogs – me ramène sans cesse à ma mère s’arrêtant tous les soirs acheter une baguette pour le dîner. Je suis comme ça.

Lui & moi pourtant on ne se prenait pas vraiment la tête pour ce genre de petits rien. il n’empêche, moi, cette organisation me plombait le moral à tel point que j’ai guetté avec une boule au ventre le moment où il appellerai pour me le demander. On en était au septième mois de l’année et j’étais tombée amoureuse de deux connards, un type malchanceux et d’un mec plutôt sympa. Tombée amoureuse de deux connards en sept mois c’est déjà un beau challenge à relever, je vous mets au défi de rencontrer trois personnes, de vous amouracher à chacune d’entre elle et de vous ramasser à la petite cuillère une fois le coup de foudre passé, terminé, fini, on passe à autre chose de toute façon il/elle était trop con/conne pour savoir reconnaître que je suis quelqu’un de bien. Trois connards donc, et lui. C’était inquiétant de tomber sur un type comme lui en réalité. Inquiétant parce que trop doux pour être vrai.

Avant ces deux histoires de je te mets tes affaires dehors alors qu’on habite pas ensemble et qu’un « finalement je crois que j’ai pas envie » aurait suffi compte tenu de l’attachement volatile que je pouvais avoir – même si oui j’avais été amoureuse à me façon de ces deux mecs-là – nous avons le numéro un de l’année, palme d’or de la lose tellement il a cumulé les merdes en trois semaines. Pas de paillasson dans l’histoire mais un chat que je haïssais et qui m’avait fait découvrir un allergie aux poils de chats. De chien aussi peut-être mais je n’avais pas testé encore. La première semaine charmante, le lieu de rencontre dont tout le monde rêve, enfin pas tout le monde mais moi peut-être pour ce côté très publicité pour les transports en commun. Quinze jours après, j’avais fait trois crises d’asthme, il avait développé un eczéma géant au contact de mon shampoing premier prix et avait été renversé à vélo. J’avais perdu mon job et ma grand-mère était en train perdre la tête. On avait découvert un cancer à son père et le fisc lui annonçait le montant de son redressement. En trois semaines, je me suis dit qu’à tout moment ma vie pouvait basculer. Il était donc bien plus sage que chacun continue sa route, loin l’un de l’autre. On est tombé d’accord. Je suis restée prostrée un bon moment. Non pas parce que nous nous étions séparés – trois semaines de relation, est-ce être ensemble – mais parce que je flippais à présent pour tout ce que je faisais. Traverser la rue était pour moi synonyme de danger à partir de ce moment-là.Et donc ensuite les deux histoires de paillasson. Et de carpette de mon point de vue. Lui & moi. J’ai cherché ce qui n’allait pas, fermant les yeux pour mieux réfléchir sur ce nous deux qui me faisait peut-être un peu peur. J’associais beaucoup le nous deux à ce magazine avec des romans photos.

Donc j’ai fouiné. J’ai réfléchi. Et il m’a appelée pour me demander d’aller acheter le pain pour les hot-dogs en rentrant. Je ne viendrai pas je lui ai dit, je ne viendrai plus.

Qu’avons-nous fait de nos rêves ?

En passant devant la station de métro, il s’est souvenu qu’elle habitait là. Qu’elle lisait sûrement, allongée sur le canapé pourri du salon, les pieds en l’air et les lunettes dans les cheveux. Qu’allons-nous devenir lui avait-elle demandé ? Que deviendrons-nous une fois que tu auras franchi cette limite de l’acceptable. La première main levée sur elle, le premier poing contre sa cuisse, le premier coup de folie dont elle ne se remettrait pas. Il y a des violences que l’on ne maitrise plus, des fantasmes qui deviennent une réalité. Ses sourires pour parer les coups. Elle habitait là, peut-être encore, peut-être plus, peut-être aussi qu’elle avait fui Paris, perdue dans les souvenirs de chaque humiliation qu’elle avait vécue. Ou bien elle était lovée dans les bras de son nouveau compagnon. Il l’avait croisé un soir qu’il épiait le pas de sa porte, depuis le café en face. Il sortait de l’entrée et la lumière du 4ème étage au salon s’était éteinte. C’était lui, il en était sûr. Il lui avait volé Lola. Il l’avait extraite de ses poings. Il n’aurait pas dû, c’était une erreur il avait expliqué à Lola. Il allait se soigner, panser ses plaies pour éviter de lui en faire, il devait aller bien pour qu’ils puissent aller mieux à deux. Mais il n’avait finalement rien fait. Un soir qu’il était à jeun, il avait essayé de l’étrangler, comment pouvait-elle rester aux côtés d’un monstre pareil. Elle s’était débattue, lui avait broyé les couilles en lui jettant un coup de pied pour se défendre et elle avait fait un sac, rempli de babioles, ses carnets de croquis et ses feuilles d’écritures, son déodorant, son parfum, sa brosse à dents, des sous-vêtements – il avait vérifié chaque chose qu’elle avait emportée ce soir-là – et son ordinateur. Il gémissait encore de douleur quand elle avait claqué la porte en hurlant qu’il n’était qu’un dingue. Elle aurait pu le traiter de connard que ça n’aurait rien changé, elle était partie et c’est la plus grande insulte qu’elle avait pu lui faire. Sale type. Il avait rampé jusqu’à la porte d’entrée pour essayer de la retenir mais elle était déjà bien loin.

Maintenant elle dormait dans les bras d’un autre. C’était une erreur, elle devait revenir, il le savait, pour lui montrer qu’il allait mieux, qu’il était guéri de ses névroses, qu’il les avait laissées de côté, rangées bien délicatement, il avait rendu les armes et fait ses comptes. Lola, reviens. Quelques pas et il pourrait sonner chez elle, le code n’a pas changé il en était sûr, c’est un syndic de merde qui ne change jamais le code, elle lui disait depuis cinq ans qu’elle habitait là. Un an avait passé depuis son départ. Elle était revenue chercher ses affaires un jour qu’il était en conférence à Lille, un jour pluvieux, gris, comme le Nord sait en construire depuis la nuit des temps. Quand il était arrivé devant ce qui avait été leur appartement, la porte d’entrée était entrouverte, elle avait gardé le sien, au cas-où sait-on jamais ce que la vie nous réserve. La salle de bain était vide de ses précieux objets, le placard était vidé de moitié, la cuisine ressemblait à un champ de bataille et sa cafetière avait disparu. L’appartement ne ressemblait plus à rien sans elle avait-il pensé. « L’absence a des vertus que ta présence ne connait pas », ce sont ces quelques mots d’une artiste qu’elle avait laissés, écrits au feutre noir sur une simple page blanche. Il avait trouvé ça injuste, ce départ, cette fuite, infondée. Il n’avait rien fait d’autre que de lui signaler qu’elle prenait parfois trop de place dans une vie qu’il avait rendue toute petite, qu’il avait amoindrie, réduite à sa présence et celle de son père.

Elle l’aimait encore, il le savait, il le sentait. Lola, je t’en supplie, reviens.

Ton départ pour elle

Personne n’aurait pu dire. Personne n’aurait pu penser que. Et c’est arrivé. Il est parti. Comme nous étions arrivés l’un et l’autre dans nos vies, avec cette effraction en douceur qui a fait de nos premiers moments quelque chose qui ressemblait à une conquête animale ou une drague adolescente. C’est arrivé vite. Sans que je ne puisse le voir. Sans que je ne puisse ressentir autre chose que du soulagement, une respiration qui m’avait quittée finalement, une pause que je n’avais pas eue depuis quelques mois, presque un an sûrement. Ces absences de disputes et ces fuites, cette odeur particulière d’une douche en rentrant du bureau, celle aussi de l’alcool, doucereuse, embaumant l’air de ton entrée dans le salon, un baiser déposé sur mes lèvres. Ces horaires inconstantes, autant que ta personnalité. Ces « je t’appelle » qui n’étaient plus suivis de ce coup de téléphone. J’aurais dû le voir venir, le sentir, le penser, l’anticiper. Tes mensonges n’avaient d’égal que ton incapacité à être adulte, un enfant aurait prétexté la perte de sa montre quand tu arguais l’oubli de ton téléphone dans le tiroir de ton bureau. J’aurais voulu ne pas souffrir, mais c’est impossible de ne pas souffrir quand on aime. C’est impossible de ne pas pleurer quand on sent que tout s’en va, les dernières semaines après ces dix années heureuses. Après dix ans sans tâche, sans autre souffrance que le jour où j’ai perdu ma mère, tu fuyais avec une femme qui te donnerai ce que je n’avais sans doute pas su te donner.

Qui elle était, pourquoi, comment, j’en avais rien à foutre. Tu partais parce que tu étais mieux avec elle qu’avec moi. Qu’importe que les conséquences soient si lourdes à payer, si terrible à cicatriser. Il ne reste rien de toi en moi. Tu t’es glissé chez elle avec la dextérité d’un chat qui cherche à sauter sur un oiseau, à pas feutrés, m’a raconté ta soeur. Tu n’existes plus chez moi. Tu n’es qu’un souvenir, une trame, quelques glorieux tuteurs dans ma vie.

J’ai dit « Ne reviens plus jamais ». Quand il est parti, pendant des heures et des heures après la dernière valise attrapée sur le paillasson, je me suis mise au piano et j’ai joué, tout, tout, tout ce que je pouvais être en état de jouer. Avec cette sensation que tout s’écroulait, que je perdais la vie, que mes veines jamais ne pourraient retrouver cette vigueur et la solidité que je pensais avoir avec l’homme qui me préparait ces plats que je ne savais pas faire. Je venais de terminer un roman dans le train, quelques jours avant. J’ai cessé de jouer et ai écrit notre histoire, aussi fidèlement que j’ai pu, de peur de l’oublier un jour, avec cette pudeur qui a caractérisé tout ce que j’avais pu vivre à tes côtés, ce temps passé à faire ce que je n’avais jamais fait auparavant et cet air que j’avais su respirer alors que mon environnement était jusqu’alors irrespirable. J’ai écrit jour et nuit pendant presque un mois, dormant par à-coup, quelque fois, buvant plus que de raison. Il en est sorti ce qu’il en est sorti. J’ai cessé d’ouvrir ces bouteilles. Je me suis guérie de ton départ avec une pute.

Extrait de roman. Clap de fin.

Nous sommes descendu du bus, nos mains toujours séparées et avons parcouru le marché aux fleurs, absents, lointains. Nous devions parler mais aucun de nous n’avais eu la force de prononcer quoi que ce soit. Et puis soudain tout m’a fait de nouveau horreur. Les flics en uniforme, les voitures qui attendaient que le feu passe au vert, le vélo qui roulait à côté du bus, les publicités sur les murs, partout, symbole émétique d’une société de cons qui n’ont aucune autre sommation que celle de leur banquier et l’autorisation de découvert qu’il vous offre gracieusement alors même qu’il fait jouer les dates de valeur de vos chèques. Une inertie nécrosante de ceux qui perdent tout, en silence, doucement. J’ai vomi dans une poubelle et me suis assis sur les marches du palais de justice. Des japonais regardaient l’homme que j’essayais de ne pas devenir, pervertit par les chiffres, la valeur hypothéquée de ma vie. Et cette odeur de mort qui transpirait de tous les gens que croisait mon chemin. Imbibés du matraquage consumériste.
Je me suis relevé. J’ai de nouveau vomi dans la poubelle. À ce moment-là, tu as décidé de te sauver la vie.
[…]

Tu étais assise à côté d’un homme que tu ne reconnaissais plus et je t’en plaignais.
« C’était vomir dans la poubelle ou te couvrir d’insultes. »

Alors tu m’as répondu. Du plus beau monologue qu’on ait pu m’offrir.

« Parce que j’ai oublié de prendre un parapluie ? Pour ça et tout le reste ? Il vaudrait mieux que je parte et que je ne te revois plus jamais. Tu déverses ta haine d’être devenu un type minable, sans envie ni passion, sans joie ni peine. Juste un tas de haine mal dirigée, pétri d’obsessions qui te pourrissent, imbibé d’alcool, d’une violence que je ne connaissais pas encore mais que, crois moi, je vais fuir le plus loin possible. J’avais besoin de toi, souvent, tout le temps. Et puis tu es parti loin de moi, loin de ce qu’on avait vécu, loin de toi. J’avais besoin de ta main dans la salle d’attente, besoin de tes yeux dans les miens. Besoin de toi. Tu n’es pas resté, tu as fui comme chaque chose que tu fais. C’est à mon tour de fuir. Avant que tu ne commettes l’irréparable et que jamais je ne puisse me relever. »

Elle est partie. Je suis resté sur les marches du palais de justice jusqu’à la tombée de la nuit. Et signais un pacte avec ma destruction. Soulagé, j’allais pouvoir mourir de ma lâcheté dans la plus grande solitude possible.

 

Ceci est l’un des extrait du roman à présent en phase de relecture par deux tiers. Terminé il y a peu, ce chapitre a été écrit il y a presque un an. Pour des raisons que j’ignore et c’est le plus intéressant.

Le disque rayé

Il y a ce soleil, indécent, impudique. Entré par la fenêtre. Un rayon frôlant ta hanche gauche. Et cette musique lancinante, comme un prélude à un amour qui n’existe que parce qu’il est là. Les heures s’étirent sans que nous ne puissions y faire quoi que ce soit. Fermer les yeux n’y changerait rien. Les garder ouverts non plus. Ma main glisse sur le drap et recouvre ta hanche avec ce tissu blanc. Il ne fait pas chaud en nous.

Il y a cette mélancolie dans tes yeux. Ce regard qui veut dire « je ne sais pas où on va, je ne sais pas si je te suis par là où tu passes ». Les genoux enroulés dans mes bras, assise sur le lit, il y a ce froid qui traverse chaque pore de ma peau, de l’intérieur vers l’air ambiant. La musique lancinante va d’ici quelques secondes s’arrêter sur une seule note, répétée et répétée. Le disque est rayé, tu le sais. Moi aussi.

Il y a ce qu’il reste de nous. Il y a cette douceur qui ne parvient pas à prendre le large. Cette douleur aussi, d’être pris au piège du risque d’être en vie. D’être entiers. Avec toute l’amertume que ça suppose. Le soleil se lève. Pas nous. Nous sommes figés dans ce qui n’existe pas, nous mentons à la terre entière, et à la clef la peur de l’échec, de ne pas être à la hauteur d’une société qui exige un bonheur constant et aussi linéaire que l’horizon vers l’Angleterre que nous avions aperçu en juillet dernier.

Il y a l’heure qu’il est. Approchant les six heures. Ce mercredi où tout peut basculer vers le pire comme vers le meilleur. Le morceau dans la chaine-hifi essaie de trouver la sortie. Ni toi ni moi ne nous tournons vers la télécommande, hypnotisés tous deux par le surréalisme de la scène. Je te murmure.

Que tu sais, « on ne guérit jamais d’avoir vécu ».

#2

Je voudrais te parler de Paris, du Paris qui voit nos vies se déverser chaque jour aussi vite que coule l’eau dans la Seine. Je voudrais te compiler tous les moments qui ont façonné ceux que nous sommes devenus. Ce couple en perdition. Que tu comprennes ce que nous avons raté. Aussi ce que nous avons aimé partager. Ce que je vais te raconter va commencer ici, dans cet appartement aux appliques modernes et au parquet ciré, à l’escalier tapissé d’une moquette rouge, aux grandes fenêtres et lourds rideaux blanc cassé. Je vais te parler d’amour et de paix, de haine et de cris projetés dans cette chambre, témoins de nos moments doux comme de nos disputes incessantes.