Cher amour,
je ne compte plus les mois qui nous séparent, je ne compte plus non plus les moments que nous aurions pu passer ensemble. Ton départ de ma vie, avec les cris et les larmes qu’on suppose, n’est plus la douleur des premières semaines. Je respire à nouveau. Je retrouve mes amis, mes amants d’avant ton arrivée, je repartage mes idées, mes envies et mes nuits. Il n’y a rien qu’on ne puisse regretter tu sais. Nous sommes si différents et nos chemins respectifs ne représentent plus rien pour toi ni pour moi, il n’y a d’amour que lorsqu’il y fluidité et sincérité et tes faux semblants n’ont fait que nous éloigner petit à petit. Je me sens si légère, si tu savais, de mes nuits je n’ai que le souvenir des douceurs et mes jours se sont remplis de joies et de peines, comme si j’étais à nouveau en vie, comme si j’avais envie.
Petit à petit tes affaires ont quitté l’appartement, les restaurants du 7ème ne sont plus les nôtres mais ceux des soirées que je passe entre amis. Tes traces se sont atténuées, la ville est redevenue mienne et les trajets que nous faisions en bus, en tram ou en métro, ont regagné la case de mes migrations pendulaires, mes réveils se sont faits en délicatesse quand ils n’étaient que larmes alors que tu logeais au creux de mes heures nocturnes. Je ne parcours plus les quais espérant glisser un baiser dans ton cou, je fais l’amour contre les pierres avec un autre que toi. Je ne pleure plus tu sais. Mes yeux tristes se sont enfin asséchés. Depuis quelques mois, je me retrouve à vivre ce que j’aurais dû vivre loin de cette emprise qui faisait de moi ce que je n’avais jamais été.
Tes affaires ont quitté l’appartement. Glissés dans les nombreuses poubelles faites après t’avoir mis dehors, loin de ma vie, loin de mes nuits. J’ai jeté des jolies choses, j’ai jeté des souvenirs, j’ai brûlé des lettres, j’ai archivé nos mails et supprimé tes textos. La beauté de ce que nous avons vécu ne ressemble plus à ce que nous nous étions promis, à quoi bon croiser sans s’y attendre de belles phrases qui n’ont fait que ruiner le peu d’estime que j’avais pour le couple moderne que nous étions, à la ville comme à la scène. J’aurais pu être des plus garces et tout te renvoyer par la poste. Au lieu de ça, j’ai limité les dégâts et me suis contenté de te supprimer de mes jours et de mes nuits. J’aurais pu dire et montrer à tout la monde qui tu étais vraiment. Et puis ça aurait été user beaucoup d’énergie pour pas grand chose : tu n’appartiens à rien d’autre que la vie et la vide que tu t’inventes et le masque que tu portes doit être bien fatigant. Tu craquelleras tout seul, je t’ai déjà suffisamment rendu service. C’est étrange comme la rancoeur a disparu, comme la colère a laissé place à autre chose de plus doux, de moins douloureux à vivre.
Si j’ai mis du temps à me défaire de l’expression quotidienne de tes névroses, c’est avant tout parce que j’avais espoir. Que nous puissions avoir cette chance de vaincre tes nombreux et torturants travers. Que les tournesols de notre salon tournent à vie leurs pétales vers le soleil qu’on avait au fond des yeux. Et puis je me suis résignée, comprenant que tu me poussais à te mettre dehors, par lâcheté de ne pouvoir prendre de décisions qui pourraient changer ta vie. Laisser-faire ton entourage et ne pas être responsable surtout de la douleur provoquée par un choix salutaire. Je t’ai aimé, je n’aimais plus celui que tu étais devenu. Et l’espérance laisse des cicatrices qui ne se voient pas, je ne voulais pas que mon corps soit trop marqué, la vie l’avait déjà fait avant toi, inutile d’en rajouter quelques unes. Aujourd’hui, je comprends que j’ai bien fait de m’extirper de tes bras et de ce que nous faisions de nos vies une tragédie grecque. Pour le reste de ma vie, j’ai confiance. On aurait pu croire que je resterai marquée de ce nous-deux. Finalement non : j’en suis ressortie grandie et me suis fondamentalement relevée différente. Mais tellement riche.
Bon anniversaire.