Quelques portraits au Salon du livre.

Zoé Shépard au Salon du livre de Paris, auteure d’Absolument débordée, entre autres.

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Et puis aussi Aurélien Bellanger, celui qui a commis ça et La théorie de l’information

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Raphaël Enthoven, philosophe de son état.

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À côté de lui on pouvait croiser Florian Zeller.

Puis vous verrez Christiane Taubira, j’ai tranché.

Morphine

Je suis rentrée. Deux sacs plastique a la main me cisaillaient les doigts et le cinquième étage me paraissait bien loin. Digicode. Première porte. Digicode. Deuxième porte. Escalier au fond de la cour. Dix-huit pas et digicode troisième porte. Les épaules en souffrance, le coude gauche bloqué par le poids d’un des deux sacs. Le téléphone vibrait dans ma poche de manteau. Je voyais ma mère face à mon visage de petite fille : « ne mets rien dans tes poches qui puisse les abîmer« . Je l’ai laissé vibrer et j’ai chassé ma mère de devant mes yeux.

Au quatrième, j’ai fait une pause. La porte des voisins était décorée pour l’anniversaire de leur petit dernier, sept ans et une dizaine de gamins allaient venir souffler dans des ballons et manger du gâteau au chocolat. L’obésité du gamin ne faisait aucun doute : à chaque fois que je l’avais croisé un paquet de chips à la main, j’avais eu envie de gifler sa mère ou son père. En espérant qu’ils aient une salade de fruit pour souffler ses bougies. Un kiwi chacun, deux bougies en forme de clown et on en parle plus. Cinquième. La lourde porte, les clefs au fond de mon sac, le chien qui sautait derrière, ravi de me revoir. Abruti. Cadeau de ma mère. Abruti.

Vous êtes pertuellement en colère m’avait dit mon analyste.
Tout a fait. D’ailleurs je vous emmerde je lui avais rétorqué.
Je n’en attendais pas moins elle avait répondu, calmement.
Fin de la séance et c’est la que je m’étais trouvée à errer dans les rayons du supermarché. J’aurais pu en conclure que j’avais été grossière et bien impertinente mais c’était fatigant de tirer des conclusions de qui j’étais en ce moment.

Le chien grattait le bas de la porte pendant que je cherchais les clefs. Ouvrir, repousser le chien, poser les sacs sur le marbre de la cuisine, balancer mes chaussures dans le salon, accrocher mon manteau à la patère et m’effondrer sur le canapé. J’ai cherché des yeux la télécommande de la chaîne hifi. En vain. Le téléphone portable vibrait toujours dans la poche du manteau accroché. En me levant je me suis pris les pieds dans les jouets du chien et ai manqué de me ramasser. Même pas un merde à sortir de ma bouche. J’avais l’impression d’avoir les cordes vocales scellées l’une a l’autre.

J’ai monté le chauffage à fond et me suis allongée sur le lit défait. Sur le dos j’avais cette facon particulière de joindre les plantes des pieds l’une contre l’autre façon grenouille. Ça ne faisait pas rire le chien qui me regardait étrangement, le regard plein de questions que peut se poser un chien. Pas énormément donc.

Mon corps était une souffrance. Aucun endroit qui n’hurlait pas soulage-moi. Les mains cisaillées par les sac. Les épaules tendues, les trapèzes aurait dit mon ostéopathe. Les yeux qui brûlent. Les joues rougies à cause du froid, les lèvres gercées, les mains bleus et les ongles striés. La cage thoracique en feu, la température du corps qui essayait de se mettre comme il faut. Et puis le bassin vide, seul, sans rien d’autre qu’une solitude à couper le souffle. Les genoux capricieux, les crampes dans les mollets, la douleur dans les tibias, la plante des pieds abimée de trop marcher. Pas un seul endroit de mon corps ne me disait pas arrête-toi là tout de suite s’il te plait. Chaque parcelle de peau hurlait de douleur. Vous somatisez expliquait mon généraliste. Peut-être. Sûrement même. Je ne sais pas ce que je somatisais mais ça ne ressemblait en rien à ce que j’avais connu avant.

En scrutant le plafond je voyais les défauts de la peinture, les moulures et le lustre. Le téléphone vibrait toujours. Je me suis levée. Calmement. J’ai attrapé le téléphone et l’ai projeté contre le mur qui donnait sur la salle de bain. Le bruit du smartphone qui explose n’a pas son pareil, c’est le bruit de l’absence et du trop, c’est la fin qu’on obtient, qu’on savoure, qu’on jouit. Le chien interloqué avait levé la truffe de son panier, mais guère plus. Je me suis assise sur le lit et j’ai compté les cachets de morphine dans leur emballage. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit. Jusqu’à quarante-sept avec plusieurs boîtes. En les étalant les uns à côtés des autres, j’ai compris ce dont j’avais besoin. Cette coupure, ce nécessaire, cette respiration, cette fuite. J’ai regroupé les comprimés et les ai entassés dans mon pull relevé de sorte que ça leur faisait une petite cuvette de laine. Quand on regarde depuis le velux de la salle de bain, on peut voir les arbres du parc en bas et le clocher de l’église. Un à un j’ai jeté chacun des comprimés de morphine dans la cuvette des toilettes. Après chaque chute, j’ai tiré la chasse d’eau, satisfaite. Quarante-sept fois. Cette merde ne traverserai plus jamais la moindre parcelle de mon corps.

J’étais prête à somatiser pour quelque chose de plus douloureux encore. La souffrance du manque.

L’armée de petits soldats

C’est l’histoire d’une armée de petits soldats disloqués, les membres mous, les gestes las d’être répétés aussi souvent du soir au matin. Qui gobe les pubs autant qu’elle avale sa peine et la boit cul sec attablée avec d’autres petits soldats. La même armée instaure une position défensive. Face à l’amour même pas peur ! On se fera jamais avoir hein. Face à la mort jusqu’à la première perte c’est loin c’est rien. Ils avancent tête baissée le matin dos courbé le soir, attrapant le dernier métro le premier bus de nuit ou les clefs de la voiture après une soirée avec un petit groupe de l’armée. Souriants, optimistes et volontaires, asservis à la cause d’une vie épanouie et chargée, remplie de tout mais surtout de rien. Rêvant de ne jamais marcher sur leurs idéaux pourtant piétinés en douceur avec toute la violence que la société leur accorde alors qu’ils veulent penser différent sans faire partie de la masse. Ils sont nombreux ils sont des milliers à avancer à gober à boire à sortir à rire à travailler avec pour aucune autre injonction que celle de ne pas marcher dans le rang en même temps que le reste de leurs congénères. Toujours un temps d’avance toujours plus vide ce qui est vieux de quelques jours n’a d’autre valeur que celle qui est assénée à celui qui est en retard. En retard sur quoi ? Où vont-ils ?

La petite armée de soldats disloqués aux gestes nonchalants brasse l’air aussi rapidement qu’elle le peut, aussi promptement qu’on le lui demande. Parfois elle se retourne et retrouve ses souvenirs anciens où elle pensait révolutionner le monde et changer la planète, sauver les populations de la famine et les enfants malnutrits au ventre gonflé, faire cesser les guerres. Et puis c’est la loi de proximité ou le mort kilométrique qui ouvre les journaux de 20 heures. Il est loin le temps insouciant où elle pouvait penser l’armée sans se prostituer socialement pour pouvoir de loger. Il est loin aussi le temps chez papa et maman où le seul souci de la diversité dans l’assiette primait sur le reste. Depuis, l’armée de petits soldats disloqués a pris le chemin de sa vie d’adulte responsable.
Alors elle gobe les pubs et avale sa peine en buvant cul sec attablée avec ses semblables.

Un jour je partirai

Monter les marches en sortant du métro et penser à elle. Doucement, sourire, un peu tristement aussi, à cause de la distance. Tu es loin et je me sens vide. Se voir une fois par an. Ou deux. Mais c’est toujours insuffisant en réalité. Refaire le monde, sur la terrasse, là, dans le jardin, au soleil et sous le vent qui fait bouger les plantes fleuries.

Les deux chaises en bois, le café qui refroidit dans nos tasses, les clopes roulées et les blondes toutes faites, nous ont accueillies de nombreuses heures depuis toutes ces années. Nos années un peu folles, nos entrées dans l’âge adulte, celui qui montre bien que tu ne pourras jamais revenir en arrière. Les premiers impôts que tu paies alors qu’on avait avant une seule idée en tête, ne jamais oublier de respirer. Marie tu me manques. J’aimerais partager avec toi ce que je ne partage avec presque personne d’autre. Les versions édulcorées que je leur sers suffit amplement pour ce que je partage avec eux, personne ne mérite que je leur raconte mes cris, mes rires et mes larmes avec la même intensité que celle qui t’est réservée. Alors en dehors de nous, je ne parle plus. Avec toi c’est sans détours, sans omettre le moindre détail.

Avec nos sourires et la pluie, petit crachin breton qui manque à mes jours parfois. Souvent en ce moment. J’ai peur d’oublier les lignes de ton corps, les contours de ton visage même si les photos que je peux voir me font penser que jamais je n’oublierai la moindre ridule d’expression de tes mimiques ou de tes grimaces. Nous faisons toujours les mêmes promesses que la candeur de notre adolescence nous permettait. Nous évoquons toujours nos amours et nos emmerdes, comme si c’était hier.

Je viendrai, pour qu’on puisse marcher le long de l’eau, au soleil ou sous le pluie, qu’on écoute de la musique dans la voiture, qu’on puisse boire un verre de vin non loin du port. Je quitterai le gris de Paris pour te rejoindre. Je partirai loin d’ici pour quelques heures saines à tes côtés, en versant quelques larmes sur le quai de la gare. La distance est injuste alors je partirai pour la réduire, je prendrai une place en première et tu riras sans doute quand je te raconterai ma vaine tentative de goûter à la plaisante solitude des wagons de première classe : depuis tous ces aller-retours, tu sais que le train en seconde est aussi bruyant que la première et que « ceux qui payent plus cher ne sont pas toujours ceux qui sont les mieux élevés« .

On passera des moments heureux.

Et puis elle me ramènera à la gare, jusqu’à la prochaine fois. « Je reviendrai » je pleurerai dans ses bras. En montant dans le train, j’aurais du sable plein les poches et des coquillages dans le sac à main. Un jour je partirai, pour ne plus jamais avoir à revenir. Pour ne plus jamais être loin.

C’est un texte sur le Go de FranchRedFrog.